QUE PEUT PRODUIRE LA CONJONCTION DES CRISES ? par François Leclerc

Billet invité.

La conjonction des crises va-t-elle profiter un peu à la Grèce ? Cela se joue en ce moment, à lire la presse du pays. Il ne pourrait être en même temps exigé d’elle qu’elle remplisse les conditions draconiennes de son nouveau sauvetage et qu’elle accueille sur son sol des dizaines de milliers de réfugiés, dans l’attente de les bloquer si possible en Turquie.

Les autorités européennes ont conféré hier avec le FMI afin de réduire les divergences qui étaient apparues à son propos, ce dernier n’ayant toujours pas rejoint le camp des prêteurs. L’objectif serait désormais d’échanger une diminution très substantielle des objectifs de réduction du déficit budgétaire contre une mise en œuvre de la liste de réformes à accomplir détaillée en septembre dernier.

Mais le nouvel accord ne s’arrêterait pas là, à la demande du FMI qui exige des Européens un effort à propos de la réduction de la dette grecque afin de pouvoir la considérer soutenable. Admettant que les objectifs demandés à la Grèce en matière d’excédent budgétaire primaire sont très ambitieux, le porte-parole du FMI Jerry Rice a déclaré « nous admettons que c’est très difficile pour une société qui a déjà souffert de tant d’années de récession », pour en tirer au nom du réalisme la conclusion que si l’on veut que les efforts soient moindres, le réaménagement de la dette doit être supérieur. Mais les dirigeants européens ne l’entendent pas ainsi.

Alors qu’Angela Merkel va une nouvelle fois accorder son violon avec celui de François Hollande, toujours en sourdine, d’autres rumeurs font état d’une avancée dans des négociations désormais permanentes avec les autorités turques, Donald Tusk rencontrant le président à Ankara. Le sommet du 7 mars auquel le gouvernement turc est invité tout proche, il est indispensable qu’il produise des résultats dans le désastre ambiant.

Selon ces rumeurs, les Turcs accepteraient le retour de tous les réfugiés non-syriens, ce qui pourrait soulager en premier lieu la Grèce, et s’engageraient à nouveau à lutter contre les passeurs, selon cette formule trouvée afin de signifier qu’ils bloqueront tous les départs vers la Grèce. Ils seraient également d’accord pour que les réfugiés sauvés dans les eaux internationales par la force navale de l’OTAN soient renvoyés en Turquie, et pas seulement ceux qui seront interceptés dans leurs eaux territoriales. Attendons les confirmations et observons les concrétisations et effets des engagements.

Les Espagnols et les Portugais vont-ils pouvoir prétendre à la très relative mansuétude dont les Grecs pourraient profiter ? Des signaux et des déclarations contradictoires ne permettent pas de trancher. Le gouvernement de gauche portugais, qui a fait approuver avec un « risque de non conformité » son budget 2016 par la Commission est attendu au coin de la rue. Déjà, Wolfgang Schäuble n’a pas manqué d’avertir que « le Portugal doit tout faire afin de réduire l’incertitude sur les marchés financiers », laissant à penser que certaines hausss des taux obligataires arrivent parfois à point nommé et qu’il n’est pas difficile de les susciter.

Le sort du budget espagnol va quant à lui continuer d’être en suspens, dans l’attente de la tenue de nouvelles élections fin juin, qui se confirme, le PSOE n’ayant pas réussi avec ses manœuvres à isoler Podemos de ses alliés et ne pouvant pas être investi par les Cortes sur les bases actuelles. Iñigo Errejon, le n°2 de Podemos, a toutefois affirmé aujourd’hui qu’un gouvernement de coalition gauche est encore possible, excluant Ciudadanos mais avec le soutien ou l’abstention d’indépendantistes basques et catalans, « sans contrepartie », « gratis » a-t-il précisé. « Ils pensent qu’avec un gouvernement de changement il y aurait plus de possibilité d’entente », a-t-il expliqué.

À terme, le sort de l’Italie va être autrement décisif. Non pas en raison de son système bancaire très malade et bénéficiant à ce titre des soins intensifs de la BCE et de la Commission, mais du choix devant lequel Matteo Renzi se trouve. Ayant épuisé avec la complicité de la Commission toutes les ficelles en matière de flexibilité des règles fiscales, il doit décider s’il va ou non poursuivre sa politique de réduction des impôts et taxes d’ici 2018, année des prochaines élections. Celle-ci rencontre déjà un scepticisme grandissant dans une opinion publique qui n’en voit pas les effets, mais l’arrêter pourrait contrarier un semblant de récupération de l’économie, tandis que la poursuivre aboutirait à sortir clairement des rails et créerait une crise budgétaire. Les deux options sont également risquées. Faute de relance effective de la croissance, Matteo Renzi est désormais dans l’impasse, une situation aux conséquences politiques imprévisibles.

Rappel, Jeroen Dijsselbloem a lancé un ballon d’essai en évoquant de nouvelles modalités du déficit structurel qui pourraient donner des marges de manœuvre supplémentaires en terme de flexibilité. Tout, plutôt que remettre en cause une politique qui se révèle inapplicable après avoir plongé les pays de l’Europe du sud dans la tourmente et placé la zone euro sous la pression de puissantes tendances déflationnistes et au bord de la récession. Daniel Cohn-Bendit a de son côté proposé « que la France, l’Italie et d’autres pays proposent un deal à Merkel », dans le cadre duquel « les pays prêts à organiser la solidarité bénéficieront d’un plan d’investissement, et pas seulement pour les réfugiés ».

Si les autorités européennes sont parvenues à éviter l’éclatement de la zone euro, ou de camoufler celui de Schengen, elles sont incapables de définir une autre perspective que celle de tenir. Elles restent en conséquence menacées par la propagation de la crise politique et l’affirmation du chacun pour soi qui se renforce. Trompeuse, une grande confiance est parallèlement affichée dans les nouvelles règles de résolution des crises bancaires – malgré un démarrage pour le moins cafouilleux en Italie – et un mécanisme de supervision qui reste pour ses choix soumis aux impératifs politiques. On en reparlera.